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Photo du rédacteurA. Piquion

D'amour et d'eau fraîche


Dans la savane, les animaux viennent boire au même point à la fin du jour. Aucun n’y fait la même chose que son voisin, qui parle toujours une autre langue, surtout quand c’est la même. Certains viennent toujours du Sud, d’autres boivent à grand bruit par la trompe quand un peu est déjà trop pour les becs fins de la bande. Qu'on s’y roule, qu'on s’y toilette, qu'on y crâne ou qu'on y boive, cette place demeure. Inaltérable, elle reste le commun fondamental des espèces qui s'y restaurent.

Soumis aux lois de l’hydratation nécessaire, buffles, hyènes, zèbres et flamands en cet incontournable commun se reconnaissent.

Nous, les trumains, naissons à notre humanité par le souffle de la parole. Tel est notre incontournable commun. Mais Je a deux faces. L’une, grammaticale, se fige en une signification. Ainsi du nécessaire jeu social, de ses miroitements, de ses impasses. L’autre face glisse, s’évapore en colorant mon énoncé, vibre et souffle (anima) entre les mots qui scandent et découpent un autre monde. Ce Je-là, le sujet de l’énonciation selon Lacan, est insaisissable, évanescent. Un rien qui souffle depuis une place vide, l’écho furtif de mes sens, il est à la fois lui-même et sa propre trace, preuve irréfutable et immatérielle de son passage, l’empreinte de la subjectivité véritable, celle des dessous. Ce sujet-là, on ne l’a jamais vu ni tenu : il se déduit des résonances de la parole pour qui parle.

Soumis aux lois du logos, en cet incontournable commun nous nous reconnaissons. Et cette reconnaissance porte un nom : agapé.

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